Parler des Rbatis de souche
Les
Rbatis de souche sont une communauté culturelle homogène ayant habité la ville
de Rabat depuis le début du 17ème siècle jusqu’à l’ouverture de la
ville au début du 20ème siècle avec l’avènement du protectorat
Français.
Les
Rbatis sont un ensemble d’un peu plus de quatre cents (400) familles dont les
trois quarts environ ont été expulsés d’Al-Andalus, les autres familles étant
marocaines, arabes ou berbères.
Le
savoir, le savoir vivre et le savoir être des Morisques et leur nombre
majoritaire, ainsi que les richesses détenues par une classe d’entre eux (les
Hornacheros) a eu pour conséquence la dominance de leur culture andalouse dans
la cité. Cette dominance s’est reflétée par la langue parlée (le Castillant est
resté langue officielle jusqu’à la moitié du 18ème siècle, soit 150
années après leur arrivée), le style vestimentaire, les habitudes culinaires,
les professions exercées (la course a été pratiquée par un grand nombre de
Rbatis) et les traditions et coutumes.
Les Rbatis avaient fondé une République,
appelée République de Bouregreg qui a fédéré les cités de Rabat et Salé avec
comme capitale la Kasbah. Cette république qui a duré de 1627 à 1668 est la
première dans le monde au Moyen âge, aussi qu’elle a précédé les Républiques
Française, Helvétique, Italienne et Génoise. La forme politique de la
république était oligarchique et son statut était corsaire. Ce qui peut
expliquer que les Rbatis étaient souvent en mer dans le pourtour méditerranéen et même sur l'Atlantique, et en contact avec les Européen, notamment les renégats, chose qui a eu pour
conséquence la préservation du Castillant et dans une mesure la Lingua
Franca, langue composite du bassin méditerranéen.
Formation du Parler ancien de Rabat
Tel
qu’il est appelé par certains linguistes ou sociolinguistes, le Parler Ancien
de Rabat est inspiré en grande partie de l’Arabe andalous, notamment dans la
structure qui en est à cheval avec le Berbère aussi.
Le Parler de Rabat possède un riche
vocabulaire issu majoritairement de l’Arabe, avec une touche Castillane et une dimension
minime du Turc et du Berbère.
Particularités du Parler ancien de Rabat
Phonologie
La lettre ''ت''
Dans certains cas, quand le ''ت'' est la première lettre d’un mot, elle
garde sa prononciation, à la différence du Parler Marocain, dans lequel elle se
prononce en ''t'' comme en français. Cette caractéristique est empruntée au Berbère par la Darija.
ت-ellaja au
lieu de Tellaja (Frigidaire)
ت-erma au
lieu de Terma (Cul)
ت-fou au
lieu de Tfou (Merde)
ت-nine au
lieu de Tnine (Lundi)
ت-late au
lieu de Tlate (Mardi)
ت-lata au
lieu de Tlata (Trois)
ت-es’ôud au
lieu de Tes’ôud (Neuf)
ت-rabi au lieu de Trabi (Morale)
Le parler de Rabat se croise avec les parlers citadins di Nord du Maroc dans cette particularité.
La lettre ''ق''
Outre
la lettre ''ق'', la lettre ''ga'',
qui représente une exception à travers quelques termes n’est jamais prononcée
dans le Parler Rbati. Les deux lettres sont remplacées par un stop ligottal. Ceci étant le cas pour la lettre "ك" aussi.
Le parler Rbati partage la même caractéristique avec les Parlers de Salé, de Fès, de Tétouan et de Chefchaouen.
La lettre ''t''
Le
protectorat français imposé au Maroc a fait subir le Parler Marocain, la Darija,
plusieurs transformations et enrichissements.
À
titre d’exemple, les marocains ne connaissaient pas la
« Fourchette ». Lors de son introduction par le colonisateur, ils
n’avaient de choix que de garder son nom en français. Cependant, les Rbatis ont
connu tôt cet ustensile de cuisine puisqu’il a été ramené d’Andalousie et dont
la dénomination Rbatie va du grand au petit avec les termes :
-
Mtekka
-
Mgalfo du
Castillant Garfo
-
Garfouna du Castillant Garfo
En
effet, le peu de termes français ayant envahi le parler Rbati et dont la lettre
''t'' fait partie ont gardé la lettre intact du français.
-
Stylo prononcée يلو-t-س
-
Centime prononcée يم-t-سان
-
Téléphone prononcée يريفون-t
-
Télévision prononcée يريڤيزيو-t
La lettre ''p''
La lettre latine ''p'' est présente dans
quelques termes du Parler de Rabat et dans les noms de famille, ce qui affirme
l’influence du Castillant sur le Parler Rbati.
-
Termes : Paho
SPiritou
Playa
-
Noms de
familles : KrisPo
Palamb
Palamino
Palissio
Peres
Pernani
Piro
Caractéristique commune avec le parler de Tétouan.
Le zézaiement
Considéré comme trouble de communication,
ce phénomène est présent dans la formation du Parler de Rabat et est pratiqué
par toute la communauté Rbatie.
Le zozotement dans le Parler Rbati se manifeste par :
La prononciation du ''j'' en ''z''
et vice-versa ;
En
revanche, on trouve dans la Darija maints exemples des effets de susseyement
provenant probablement des parlers non-hilaliens.
-
Jouj pour Zouj (Deux)
-
Jjaj pour Zzaj (Verre)
-
Tjewej pour Tzewej (Se marier)
-
Jenjlane pour Zenjlane (Sésame)
Cette même caractéristique est présente dans le parler de Salé.
Le Chuintement
Il s'agit d'un autre trouble de communication qui consiste à la prononciation du "s" en "ch" et vice-versa.
- Chemch pour Chems (Soleil)
- Chejjel pour Sejjel (Enregistrer)
- Mechjid pour Mesjid (Mosquée)
- Serjem pour Cherjem (Fenêtre)
Cette caractéristique linguistique est omniprésente dans les parlers arabes des Séfarades, juifs orientaux.
L’emphatisation
L’emphatisation
est le fait de gonfler un terme en insistant sur sa prononciation avec un
mouvement de fermeture de la glotte. La darija contient aussi des cas demphases.
-
ALLah (Dieu)
-
Nod (Réveille-toi / Debout)
Et des emphases que l’on peut trouver uniquement dans le parler Rbati.
-
Rdoma pour redoma (Bouteille)
-
Zohair pour
zouhir (Nom propre)
L’assimilation phonétique
L’assimilation
est une particularité phonétique qui se manifeste par l’atténuation de la
prononciation d’une lettre.
-
yallah pour YaLLah (Aller/ On y va/ Vas y)
-
ytro pour YTro (Litre)
Chadda (Intensité)
Il
s’agit d’un signe diacritique de la langue arabe, manquant une longue consonne
ou un appui sur la consonne (gémination).
Cette particularité est appliquée sur
plusieurs termes du Parler Rbati qui demeurent ordinaires dans la Darija.
-
Jerri pour Jri (Courir)
-
Ghffel pour Ghfel (Feinter)
Autres particularités phonétiques
-
Ch’âari pour Ch’âeri (Mes cheveux)
-
Mrati pour Merti (Ma femme)
-
Yesbaε pour Sbeε (Doigt)
-
Jellabia pour Jellaba (Djellaba)
-
Chna pour Chnou (Quoi)
Vocabulaire
Le ''ga''
Cette lettre ne fait pas partie du Parler
de Rabat car elle ne figure pas parmi les lettres de la langue Arabe classique, composante essentielle de Parler de Rabat, mais elle reste, tout de même, utilisée dans quelques exceptions, du fait que les Rbatis l'utilisaient auparavant en Castillant. Toutefois, lors de la formation du Parler Ancien de Rabat, le ligotement a substitué la prononciation du "qaf", du "kaf" et du "ga", cette dernière tire son origine essentiellement du Berbère.
-
Verbes : Nguer (Râler)
Gles (Descendre)
Guemmet (Râler)
Guebbel (Garder)
Fgues (Casser)
Guerr (Avouer)
-
Adjectifs : H’adeg (Laborieux)
Megloub (Troublé)
Mgouess (Incliné)
A’âgra (Stérile)
-
Nom : Guens (Con)
Guerrab (Marchand d’eau)
Gatifa (Velours)
Gnaoua (Gnaoua/ couleur musicale spirituelle)
Gerga’â (Noix)
Guedouar (serviette frotte)
Gouza (muscade)
Guensa (rognon)
‘Âgreb (scorpion)
Ryoug (Salive)
Gamous (Buffle)
Guich (Armée)
Guemra (Lune)
-
Noms de Belgnaoui
familles : Bou’âllaga
Golyat
Grillan
Guelzim
Guendouz
Ringa
Guessous
Guedira
Caractéristique commune avec les Parlers de Salé, de Fès et de Tétouan.
Mots d’origine Castillane
Comme précisé auparavant, le Parler Rbati
a été influencé en partie importante du Castillant, on trouve une panoplie de
termes qui trouvent leur soubassement dans cette langue.
-
Barato du Castillant Barato (Pas cher)
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Debloune du Castillant Dablon (Pendentif)
-
Fdawech du Castillant Fideos (Nouilles)
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Khay du Castillant Jefe (Frère)
-
Niabi du Castillant Niavé (Crème glacée)
-
Qerwata du Castillant Cucaracha (Cafard)
-
Swirti du Castillant Suerte (Chance)
-
Yalesta du Castillant Ya esta (Rapidement)
Cette caractéristique est plus fréquente aux parlers citadins du Nord qu'à Rabat au vu de la proximité géographie des Cités citadines de l'Espagne castillane.
Mots d’origine Turque
Le Contact qu’ont tenu les corsaires
Rbatis avec leurs homologues Ottomans leur a permis d’emprunter quelques termes
pour enrichir le Parler de Rabat.
-
Bezbouz du
Turc Balbousse (Robinet)
-
Dada du Turc Dada (Baby-sitter)
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Derbouz du Turc Drabzoune (Balustre)
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Chlimane du Turc Solimani (Poison mortel)
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Tebsi du Turc Tabsi (Assiette)
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Qawarma du Turc Qawerma (Plat de viande)
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Qwaqeb du Turc Qebqab (Chaussure de bain)
-
Strombia du Turc Stramia (pouffe)
Caractéristique linguistique partagée avec le parler de Tétouan dont les corsaires de la Cité furent en perpétuel contact avec la marine Ottomane.
Mots d’origine Berbère
Le territoire berbère étendu au Maroc et
le grand nombre de berbérophones n’a pas laissé le parler Rbati sans la moindre
influence. Le Parler de Rabat a emprunté quelques termes au Berbère, dont entre autres :
-
Tassila du Berbère Tassila (Race ; péjo.)
-
Seqsi du Berbère Tasqsit (Demander)
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Tammara du Berbère Tammart (Corvée)
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Bouqal du Berbère Abboqal (Tête bombée)
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Souguer du Berbère Tassouguer (Ne pas rater)
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Taqidda du Berbère Tagadda (Mesure)
-
Khamej du Berbère Takhmajt (Pourri)
Termes présents notamment en Darija marocaine sous la même forme ou avec de légères différences.
Autres caractéristiques
Quelques instruments socio-linguistiques ont
contribué à ce que le Parler Rbati, plus précisément son vocabulaire soit
présent jusqu’à nos jours même dans la Darija marocaine. Tels que les proverbes.
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« Ta’het
sam’âa, ‘âalqo el ‘hajjam ». (coiffeur)
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« Mendil
Sfia, jit nmse’h fih mse’h fia ». (Serviette)
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« Ta’h l’hokk
w sab ghtah ». (Trouver
– Couverture)
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« Lah ilaqina
m’âa ma khyer menna ». (Mieux)
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« Dreb
lou/lha terr ». (Tar/Tambourin)
Conclusion
Plusieurs caractéristiques parmi celles citées ci-dessus sont partagées avec les parlers des cités citadines telles que Salé, Fès et Tetouan du fait qu'ils sont issud d'y même groupe linguistique Pré-Hilalien.
Toutefois, certaines de ces caractéristiques comme le stop-ligottal substituant aux lettres "", "" et "", le chuintement et le zozotement n'étaient pas utilisées quand les Rbatis parlaient Arabe Classique, notamment à l'école ou dans la récitation du Coran dans la prière.
Toujours parlé par un peu plus de 100.000 personnes dont les trois quarts habitent toujours Rabat et ne représentent que six pour cent (6%) de sa population totale.
L’exode rural massif qu’a connu la ville depuis la moitié des années 80 du siècle précédent et jusqu'à nos jours, a révélé la conscience des Rbatis de souche à préserver leur parler de souche par son apprentissage à leurs enfants en vue d’assurer sa pérennité.